Jean Le Carrérès: un affreux bonheur. Le Télégramme - Vendredi 6 Avril 2001.
Journaliste à Brest, Jean le Carrérès vient de publier son premier roman, « Un affreux bonheur ». Le premier également pour sa maison d'édition, la seule située à moins de 20 km de la Baie des Trépassés, « An tu aIl ar mor ».
Un premier livre à 57 ans, ça sert à supprimer une frustration. A force de noircir des bouts de papier, on finit par avoir « envie d'aller jusqu'au bout ». Peut-être aussi à échapper à l'angoisse « d'entrer au Panthéon des écrivains stériles ». Ou à établir avec les autres une forme de communication plus satisfaisante, à la fois plus distante et plus intime.
Plutôt éclectiques ses préférences littéraires: des monuments comme Proust et Céline et des auteurs rares comme Henri Calet ou Alexandre Vialatte. Vous vous rendez très vite compte que pour en savoir davantage sur Jean Le Carrérès, le mieux c'est encore d'ouvrir son livre.
Portraits de femmes
Première chose: ne pas vous laisser abuser par le pseudonyme ridicule de « Victor Pluchon » dont il s'est affublé, espérant garder l'anonymat pendant 148 pages. Au premier abord, on serait tenté de penser qu'un grand amour des chats (misanthropie) combiné à une attention excessive à la météo (désintérêt des affaires humaines) est un symptôme de déprime. Au deuxième abord, on penche à croire que cette déprime est aggravée de misogynie: terrifiant, le portrait de Yolande.
« Gai roman triste »
On est parfois tenté par une solution de facilité. « Vous ne l'avez pas expédié un peu vite, à la fin, votre personnage? » « Il fallait bien que je m'en débarrasse! ». A la dernière page, après un divorce, un meurtre involontaire, un suicide, un accident mortel, il ne reste plus grand monde: une femme et deux enfants sans père. Attention, cette hécatombe est une métaphore: « Le monde est très beau, mais, nous, on passe ». Difficile de mieux définir l'art en une phrase.
On peut lire « L'Affreux bonheur » comme un « gai roman triste », se laisser séduire par son charme délétère, ou le feuilleter comme un album constellé de vignettes précieuses. Car Jean Le Carrérès, comme antidote au désespoir, distille sans modération l'humour et la poésie.